>>Pour Chuang Yung-ming [莊永明], collectionneur de son état, une déclaration d’impôts, une boîte d’allumettes ou les paroles d’une chanson dissimulent des histoires bien réelles, quand ce n’est pas l’Histoire avec un grand H. Il explique pourquoi il préfère la « perspective de l’homme ordinaire »
Certains disent que le XXIe s. sera le siècle du populaire. C’est à espérer, parce que l’histoire de Taiwan, elle, a toujours été envisagée de manière trop académique. Il est vrai que la recherche universitaire est indispensable, mais il est difficile pour les historiens de rester objectifs devant les pressions politiques. Je chine les vieux objets depuis vingt ans, et au gré de mes recherches sur le terrain, j’ai eu entre les mains des documents de première importance. J’y ai vu quantité d’aspects de notre passé qui ne sont pas évoqués dans les historiographies. J’en suis venu à penser que l’histoire ne prend toute sa dimension que si vous l’abordez sous divers angles et si vous considérez ses développements comme des phénomènes initiés par un peuple dans son ensemble.
L’histoire est écrite pour répondre aux besoins de ceux qui exercent le pouvoir, elle est déformée par l’idéologie. Il existe d’innombrables anecdotes pour le prouver. Prenez par exemple la Nouvelle littérature taiwanaise, au début des années 20. Simplement parce qu’un spécialiste reconnu de l’histoire taiwanaise a qualifié ce mouvement de « gauchiste », on a eu peur de faire des recherches sur cette période. Et la figure marquante de cette tendance littéraire, Lai Ho [賴和], a été retiré de la liste des noms inscrits sur le Mausolée des martyrs, bien qu’il soit considéré comme « le père de la littérature taiwanaise ». Cela a vraiment été un tournant dans la mauvaise direction en ce qui concerne le développement de la culture taiwanaise.
Il y a peu de temps, quand les archives liées à l’Incident de Kaohsiung ont été ouvertes au public, Shih Ming-teh [施明德], l’un des protagonistes de premier plan de cette affaire politique, s’est étonné qu’une portion seulement des dossiers ait été déclassifiée.
Tout cela me fait penser qu’on est forcément dans l’erreur si on considère l’histoire telle qu’elle est présentée par les dirigeants. On a peut-être une vision plus proche de la vérité quand on aborde les choses avec les yeux d’un individu anonyme.
Le « point de vue de l’homme ordinaire » affleure dans les objets de l’époque, mais aussi dans ce qui fait notre quotidien, comme la nourriture, les vêtements, les habitations, les moyens de transport, les chansons... Considérés dans leur ensemble, ces éléments donnent une image très vivante de l’histoire.
Prenez par exemple les chansons populaires taiwanaises. Elles nous en disent long sur le passé. J’aime bien celle-ci :« Il traverse l’asphalte fondu sur la pointe des pieds / et demande à son père de lui acheter des pieds de porc / le gamin affamé, déjà salive... » Imaginez ce garçon en train de traverser en courant une route fraîchement goudronnée : c’est la vie telle qu’elle était dans les années 60, lorsque l’île était en plein décollage économique. De plus en plus de gens pouvaient s’offrir des pieds de porc, et pourtant les infrastructures ne suivaient pas. Je pense que les gens de cette génération ont tous le souvenir de ces jeunes filles en talons aiguilles qui traversaient avec précaution des routes dont le bitume était encore mou et chaud. Tout comme les poètes de la Chine ancienne se frayaient un chemin dans la neige pour cueillir les fleurs de prunus, nous, nous avons dû marcher sur de l’asphalte collant pour arriver où nous sommes aujourd’hui.
On voit toujours les prospectus comme des détritus mais, pour moi, ils sont la meilleure source d’information sur l’évolution de la société. Par exemple, je conserve les publicités immobilières, car elles me permettent de suivre l’évolution de l’urbanisation. Même chose pour les tracts électoraux : on y perçoit très bien les positions défendues par les différents candidats lors des élections passées, et on peut comparer réalisations et promesses. Aujourd’hui, par exemple, tout le monde aime le métro à Taipei, et les élus le présentent comme un grand succès. Pourtant, on pourrait se rappeler que certains d’entre eux, lors des élections municipales il y a quelques années, recommandaient de stopper net les chantiers et de transformer les terrains réservés au métro en parcs de stationnement géants !
J’ai dans mes collections un reçu fiscal de 1927 émis par l’administration coloniale japonaise. Dans les marges de ce document sont imprimés des messages du service public, écrits – contre toute attente – en taiwanais ! Grâce à ce petit détail, on devine que les Japonais avaient encore de grands efforts à faire pour généraliser l’utilisation du japonais dans l’île. Cela dément aussi l’idée généralement admise qu’ils tenaient absolument à imposer leur langue au peuple taiwanais. Indépendamment de leurs motivations, le simple fait que les Japonais aient publié un dictionnaire taiwanais/japonais dès les premières années de leur présence devrait inciter le gouvernement actuel à davantage de réflexion. Ce serait à lui de standardiser l’usage des caractères chinois pour la transcription du taiwanais, mais il ne s’est pas du tout impliqué dans cette entreprise, et chacun continue d’utiliser les caractères de son choix. Du coup, les usages incorrects abondent.
Je vais vous donner quelques exemples. Lorsqu’on a commencé à accueillir les groupes de touristes en provenance de la Chine, j’ai été embauché pour former des guides touristiques. Je leur ai conseillé de s’assurer que les touristes venus du Shandong ne s’offusquent pas des enseignes des restaurants vendant du lu rou fan [魯肉飯][du riz agrémenté de morceaux de porc mijotés dans la sauce de soja]. En effet, le caractère lu [魯] est aussi le nomlittéraire de la province du Shandong. Le caractère correct pour désigner cette recette est lu [滷], alors pourquoi en utiliser un autre ? En extrapolant à partir du nom de cette spécialité locale, on pourrait penser que les Taiwanais sont friands de la chair des habitants du Shandong !
Autre exemple : nous décrivons le bruit du bouillonnement de l’eau de cuisson des nouilles par l’expression qiang qiang gun [強強滾]. Mais si vous prononcez en taiwanais les caractères utilisés en général pour la retranscrire, les nouilles ne sont pas du tout en train de bouillir mais d’infuser !
Dans mon livre Taiwan au scanner, je présente des objets rassemblés – par moi et par d’autres – au fil des ans. Ce livre est un voyage à travers les souvenirs des gens de ma génération. Mais je l’ai aussi produit pour faire comprendre aux jeunes gens trop gâtés de notre époque les épreuves que les générations précédentes ont traversées. ■
Propos recueillis par Coral Lee
Chuang Yung-ming a publié
Taiwan au scanner
(Taiwan Shiji hui wei [台灣世紀回味])
aux éditions Yuan Liou Publishing.

Médaille du chef
Le Programme pour l’administration des sauvages, mis en place par l’administration coloniale en 1910, fut le point de départ d’une période de répression violente de la population aborigène – qui s’est aussi soldée par beaucoup de victimes dans le camp japonais. Dans sa campagne contre la tribu Taroko à Hualien, par exemple, l’armée subit des pertes importantes. La Médaille du chef (à d.) était décernée par les autorités coloniales aux chefs aborigènes qui se soumettaient.

Médaille de la vertu
Par opposition aux médailles japonaises, la Médaille de la vertu était décernée par les Taiwanais à leurs propres héros. Dans les années 20, des intellectuels comme Lin Hsien-tang [林獻堂] et Chiang Wei-shuei [蔣渭水] firent campagne pour la création d’un Parlement taiwanais composé de représentants élus par la population locale. Encouragés par ce qui semblait alors être une tendance mondiale à la reconnaissance des droits civiques des populations indigènes par les puissances coloniales, ces intellectuels présentèrent des pétitions dans ce sens au gouvernement japonais. En 1923, l’administration coloniale, inquiète, arrêta tous ceux qui étaient impliqués dans cette campagne au motif de « troubles de l’ordre public ». Les condamnés firent appel auprès des plus hautes instances judiciaires, ce qui donna lieu à de fiévreux débats au tribunal. L’avocat Yeh Ching-yao [葉清耀] interpella le procureur japonais en ces termes : « Vous dites que nous fomentons la rébellion, mais les seules armes que nous possédons chez nous sont des hachoirs à viande. Comment pourrions-nous nous rebeller ?» Et Chiang Wei-shuei de se lamenter : « Ce jugement que vous venez de rendre contre nous, c’est aussi contre les cinq millions de Taiwanais que vous le prononcez ».

Médaille du gentilhomme
La Médaille du gentilhomme était destinée aux élites taiwanaises. Pendant les premières années de leur présence, les Japonais furent confrontés à la résistance passive des insulaires, en particulier au centre et au sud de l’île. Beaucoup d’ordres administratifs étaient ignorés hors de Taipei, et les hommes se succédaient rapidement au poste de gouverneur-général. Une stabilité relative ne fut atteinte qu’avec l’arrivée à la tête de la colonie de Gentaro Kodama qui nomma Shinpei Goto administrateur en chef. Celui-ci, partant du principe que les Taiwanais étaient « lâches, avares et vaniteux », utilisa la stratégie de la carotte et du bâton. Ceux qui se mêlaient d’activisme politique étaient sévèrement punis, tandis que ceux qui souhaitaient se lancer dans les affaires étaient encouragés et décorés. Les Taiwanais ont bien sûr compris que cette médaille était destinée à les amadouer et la surnommèrent entre eux la « médaille du chien puant ».

Les premiers billets de banque
La monnaie de papier reçut un accueil très mitigé lors de son introduction à Taiwan sous les Japonais. La population n’avait alors confiance que dans les taëls d’argent.
Tous les nouveaux billets, indépendamment de leur valeur nominale, étaient ornés d’un dessin représentant le temple shinto (voir photo) construit par les Japonais là où s’élève aujourd’hui le Grand Hôtel de Yuanshan. Ce temple était au centre des efforts des autorités coloniales pour amener les Taiwanais à adopter le culte shintoïste. Il était dédié à un membre de la famille impériale japonaise décédé lors de la conquête de l’île, que les Taiwanais étaient eux aussi censés vénérer. Le temple fut construit avec des blocs de pierre importés et du bois de cyprès du mont Ali (Alishan), au centre de Taiwan. Après la capitulation japonaise en 1945, les nouveaux dirigeants venus de Chine ordonnèrent sa destruction. Pierres et poutres furent rachetées pour une somme ridicule par un artisan qui les réutilisa pour rénover le temple taoïste Tsu Shih, à Sanhsia, au sud de Taipei.
Au dos des billets de banque était représenté le phare d’Oluanpi, à l’extrême sud de Taiwan, symbole de l’expansionnisme japonais. Il y figurait aussi la citation suivante : « Monter au sommet du phare à Oluanpi nourrit l’ambition d’une expansion vers le Sud-Est ».

(Certificat prêté par Chuang Yuan-ming)
Certificat de vaccination et infirmiers
Il s’agit en fait de mon propre certificat de vaccination. Les autorités coloniales exigeaient que tous les enfants soient vaccinés contre la variole à l’âge d’un an et subissent un rappel à 10 ans. Si vous n’étiez pas vacciné à temps, vos parents devaient payer une amende.
A l’arrivée des Japonais, sévissaient dans l’île de graves épidémies, aussi les colonisateurs ont-ils fait de gros efforts dans les domaines de la prévention et de la santé publique. Je me souviens qu’ensuite, lorsque les soldats et citoyens venus de Chine arrivèrent à Taiwan avec le régime nationaliste, certains avaient le visage marqué par la petite vérole. De nombreuses maladies contagieuses qui avaient été éradiquées sous la domination japonaise (comme la variole et la peste) réapparurent dans les années 50.

(Photo prêtée par Li Chung-yao)
Bombardements américains
Durant la Seconde Guerre mondiale, à la fin des combats dans le Pacifique, ports, gares, usines et même quartiers résidentiels furent régulièrement pilonnés par l’aviation américaine puisque Taiwan était alors une base japonaise. Le 31 mai 1945, l’île tout entière fut copieusement bombardée, et c’est à Taipei que les dégâts furent les plus importants. Le Palais du gouverneur, l’Hôpital universitaire impérial, le restaurant de la gare qui, à l’époque, était si prisé... tous furent touchés. Les infrastructures de la ville furent presque entièrement détruites, et on n’a jamais pu établir le compte précis des victimes.
Un autre épisode dramatique a été celui de l’attaque du ferry Takachiho-maru, qui faisait la navette entre Taiwan et le Japon. Plus de 1 700 personnes – y compris des Taiwanais de renom comme le sculpteur Huang Chin-cheng [黃清埕] et quantité de jeunes gens qui étudiaient au Japon – perdirent la vie dans ce naufrage qui fut donc plus meurtrier que celui du Titanic. Mais le drame n’est pas toujours mentionné dans l’histoire mondiale des catastrophes maritimes.
Plus de Taiwanais furent tués pendant la Seconde Guerre mondiale que lors de l’Incident du 28 février 1947. J’espère que l’on finira par accorder autant d’attention à ces victimes qu’on en accorde déjà à celles de 1947.

Prospectus et carte postale pour l’« Exposition taiwanaise »
En 1935, les Japonais étaient installés depuis 40 ans à Taiwan, et leur emprise sur l’île était totale. L’ordre et la stabilité régnaient. Taiwan occupait une place de choix dans le rêve japonais de « sphère de co-prospérité de l’Asie orientale ». Pour célébrer leurs réussites coloniales à Taiwan et faire étalage de leur puissance, les Japonais organisèrent une « Exposition taiwanaise pour commémorer 40 années d’administration ». Cela a été gigantesque, à l’échelle d’une foire internationale aux Etats-Unis ou en Europe. A cette époque, la population de l’île atteignait seulement 6 millions d’habitants, et plus de 2 millions de personnes visitèrent l’exposition. Le prospectus (en haut) annonçant l’événement en donne une vue d’ensemble.

(Photo prêtée par les Archives du Kuomintang)
Travaux mythiques : la route nationale est-ouest
Autrefois, les voies de communication longeant les côtes est et ouest n’étaient pas reliées entre elles. A l’est de la chaîne de montagnes centrale de l’île, les plaines occupées aujourd’hui par les hsien de Hualien et de Taitung étaient désignées par l’expression « derrière les montagnes », tandis qu’on parlait pour les plaines occidentales de « devant les montagnes ». Les Japonais envisagèrent d’ouvrir une route côtière reliant Suao à Hualien, et lancèrent un grand chantier de construction d’une route transversale reliant les deux grands axes de communication nord-sud. La partie orientale de cette route transalpine devait suivre les gorges étroites de la rivière Liwu, tandis que la partie occidentale longerait le cours de la Tachia. Mais les travaux, commencés pendant la guerre, furent interrompus peu de temps après. Ce projet très ambitieux ne fut repris que sous l’administration Kuomintang (KMT).
Dans les années 50, Taiwan manquait d’équipements et de matériel. On mit à contribution les soldats armés pelles et pioches. Les tunnels étaient percés à la dynamite. Les explosifs étant de très mauvaise qualité, beaucoup de ces hommes périrent sous les éboulements. La route transversale centrale traverse des paysages d’une beauté à couper le souffle, mais ne faut-il pas aussi accorder à cette page d’histoire l’attention qu’elle mérite ?

(Gravure prêtée par le Mémorial du 28 Février, à Taipei )
L’Incident du 28 février 1947 : du tabou aux plaques commémoratives
Cette gravure exécutée par Huang Jung-tsan [黃榮燦] porte le titre d’« Enquête sur la terreur ». Elle représente des soldats venus du continent en train de tirer sur la foule pendant la répression sanglante de 1947. Cette confrontation entre « continentaux » et « Taiwanais de souche » a pour point de départ l’interpellation musclée d’une femme qui vendait du tabac de contrebande. Dans le désordre social et l’instabilité politique qui suivirent le passage de l’île sous l’administration de la République de Chine, l’incident dégénéra. On pourrait dire que ce fut un cas de désamour qui tourna à la résistance active, mais il serait exagéré de parler de révolution ou de rébellion.
Pendant les quarante années qui suivirent, l’événement fut officiellement décrit comme un soulèvement contre l’autorité légitime. C’est seulement après la suppression de la loi martiale en 1987, et la création de l’Association du 28 Février pour la promotion de la paix, dans les années 90, qu’on tenta d’annuler les condamnations abusives, de faire la lumière sur cette période tragique et de travailler à une réconciliation nationale. En 1994, le Yuan législatif vota le versement de compensations aux victimes, et l’année suivante, Lee Teng-hui, alors président de la République, leur présenta des excuses solennelles au nom de l’Etat.

(Photo de Chin Pin-yen,prêtée par CNA)
Recouvrer le continent !
« Vaincre les impérialistes soviétiques, lutter contre le communisme, lutter contre le communisme ! Eradiquer Zhu et Mao, tuer les traîtres à la Chine, tuer les traîtres à la Chine ! Reconquérir le continent, libérer nos compatriotes, obéir à nos chefs, achever la Révolution... ». Pendant la « période précédant le recouvrement du Continent », tout le monde connaissait cette chanson, avec ses slogans anticommunistes que personne ne pouvait se permettre de critiquer et son idéologie d’obéissance au chef. Dans nos devoirs à l’école, en signe de respect, nous devions laisser un espace blanc sur la page avant d’écrire « le Président Tchang ».
De même, les élèves se mettaient au garde-à-vous à chaque fois que le professeur citait son nom. La photo des années 50 montre des soldats de l’armée nationaliste, sur l’îlot de Tachen, dans le détroit, qui se préparent à lancer vers le continent tout proche des ballons sur lesquels sont inscrits des slogans anti-communistes.

Radeaux et jonques
Avant le chemin de fer, la navigation, fluviale ou côtière, bien que très insuffisante, jouait un rôle essentiel dans le transport des biens et des personnes. Les rivières de Taiwan étant peu profondes et très chargées en alluvions, on ne pouvait pas utiliser d’embarcations à fort tirant d’eau. Les radeaux de bambou, plus faciles à manœuvrer, étaient adaptés non seulement à la circulation sur les cours d’eau, mais aussi au cabotage, en particulier dans les zones de lagunes ou de bancs de sables. Une simple perche de bambou suffisait à faire avancer l’embarcation. Le passager s’asseyait avec son bagage dans un large tonneau qui le protégeait des éclaboussures.
L’expression rong ke chuan [戎克船] utilisée pour désigner ces frêles esquifs est une transcription phonétique de l’anglais junk. Il aurait pourtant été plus facile d’employer la formule existante, zhongguo fanchuan [中國帆船] ou « voilier chinois ». Dès le XIXe s., les jonques transportaient d’une rive à l’autre du détroit de Taiwan passagers et chargements de tangshanshi. Ces blocs de pierre originaires de Chine servaient de ballast pendant la traversée, avant d’être revendus aux artisans taiwanais qui les utilisaient pour la construction des temples.

L’époque de la voiture à bras
Au début du XXe s., le moyen de transport le plus utilisé à Taiwan était la voiture à bras sur rails. C’était très simple à fabriquer : quelques planches posées sur quatre roues, surmontées d’une caisse en bois faisant office de siège, et dans lesquelles étaient fichés quatre manches en bois (deux à l’avant pour que les passagers puissent se tenir, deux à l’arrière pour permettre au « conducteur » de pousser le véhicule). Ces voiturettes circulaient sur un réseau de rails, construit au début de la colonisation japonaise, qui leur était réservé. Les passagers achetaient leurs tickets auprès de la Compagnie du transport ferroviaire léger. Comme ce mode de transport exigeait peu d’investissements et passait partout, on le trouvait en plaine aussi bien qu’en montagne. La plupart des voies partaient des gares. C’est seulement dans les années 50 que ce réseau tomba en désuétude.

Circulation bloquée par deux véhicules à pattes
Au cours des années 30, le nombre des automobiles augmenta et on dut construire des routes cimentées par-dessus les voies du réseau ferroviaire léger. Mais les ponts étaient encore peu nombreux, et les lignes de transport urbain n’allaient pas au-delà de dix kilomètres de leur point de départ.
Dans les années 50, des scènes de ce genre n’étaient pas rares. A l’époque ce n’était pas les gaz d’échappement qui enrageaient les voyageurs, mais plutôt la bouse qui s’étalait sur la chaussée !

(Photo de Tseng Hsiu-pi,prêtée par CNA)
Le bon vieux temps sur l’avenue Chungshan
Au début du XXe s., l’avenue Chungshan était la plus large de Taipei. Appelée Chokoshi-do en japonais, cette san xian lu (route à trois voies) fut construite pour relier le centre ville au temple shinto de Yuanshan. Les véhicules motorisés étant très peu nombreux, seule l’artère centrale était réservée au trafic automobile. Les contre-allées étaient laissées à l’usage des cyclistes, cyclopousses et piétons. A la tombée du jour, les citadins venaient y prendre l’air. Ce cliché donne une idée de la vie à la capitale dans les années 50. Comme la ville n’était pas très étendue, on pouvait la parcourir à pied. Il y avait d’ailleurs peu d’autobus, et ils ne pouvaient transporter qu’une douzaine de personnes à la fois.

(Prêté par le musée des Beaux-Arts de la ville de Taipei)
Tataocheng et Sakae-cho
Cette « peinture à la colle » de Kuo Hsueh-hu [郭雪湖] décrit une scène de la fête des Fantômes dans le district de Tataocheng, à Taipei. A l’époque japonaise, les hommes d’affaires et les notables concentraient leurs activités dans les districts de Mengchia, l’actuel Wanhua et de Tataocheng, où s’étaient établis d’innombrables marchands de thés, de vêtements, de tissus ou d’articles importés d’Occident. C’est dans la rue Eiraku-cho de Tataocheng (aujourd’hui rue Tihua) qu’étaient installées certaines des entreprises qui comptent aujourd’hui parmi les plus importantes dans l’île. Là travaillaient comme clercs ou commis des hommes qui prendraient plus tard la tête de véritables empires commerciaux tels que Shin Kong, Kuang Chuan, Taiwan Pineapple, et un groupe d’entreprises connu sous le nom de « bande de Tainan » parce qu’elles sont toutes originaires de cette ville du sud de l’île.
A cette époque, le quartier le plus animé était situé intra-muros. Connu en japonais sous le nom de Sakae-cho (aujourd’hui les environs de la rue Hengyang), c’était un peu le Ginza de Taipei. Bien que les autorités coloniales aient depuis longtemps démoli les murs d’enceinte qui entouraient encore ce quartier à leur arrivée, un mur invisible séparait les Japonais de la population locale.

(Yueh Kuo-chieh)
Arcades et immeubles commerciaux
Ce sont les Japonais qui ont généralisé l’emploi des arcades pour abriter les passants du soleil intense comme des pluies fréquentes. Les commerces et les entreprises étaient situées au rez-de-chaussée, et les logements dans les étages. C’est une caractéristique architecturale que l’on retrouve dans toutes les villes de Taiwan.
Peu à peu, les passages sous les arcades furent annexés par les marchands ambulants. Ces espaces pittoresques abritent encore toutes sortes de commerces, des boutiques de vêtements aux restaurants, en passant par les vendeuses de noix de bétel. La photo, prise dans les années 90, montre un immeuble à arcades de la rue Hukou. ■
Chuang Yung-ming a publié Taiwan au scanner (Taiwan shiji hui wei) aux éditions Yuan Liou Publishing.
Note: les photos sont accompagnées de commentaires de Chuang Yung-ming.